• ➤ Gram Parsons - Altamont Pie

    Cet article est la traduction du seizième chapitre du livre de David MacGowan, Weird Scenes Inside The Canyon.

    L'histoire étrange, mais néanmoins véridique, du Laurel Canyon et de la naissance de la génération hippie.

     

    ➤ Gram Parsons - Altamont Pie

    Gram Parsons

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    « Personne ne pouvait se rappeler avoir jamais vu ou entendu dire que Gram ait été impliqué dans quelque manifestation que ce soit »

    L'écrivain Ben Fong-Torres, qui a interviewé des dizaines de personnes proches de Gram Parsons à l'occasion de ses recherches pour son livre Hickory Wind

     

     

       Commençons par une évidence: Gram Parsons était loin d'être la plus grande star qui ait émergé de la scène du Laurel Canyon. Au cours de sa courte vie, il n'est pas parvenu à atteindre un niveau de succès très élevé sur le plan commercial. Aucun de ses albums, que ce soit en solo ou avec The International Submarine Band, The Byrds, ou The Flying Burritos Brothers, ne s'est élevé bien haut dans les classements de ventes de disques. Mais de nombreux fans, ainsi que de nombreux musiciens, le considèrent comme une personnalité à l'influence énorme, et qui a été injustement ignorée.

       On peut dire sans grand risque de se tromper que Gram Parsons est très loin d'avoir autant de fans que David Crosby ou Frank Zappa, et quand on le compare à ses contemporains décédés durant la même période et à peu près au même âge – des artistes légendaires comme Jim Morrison, Janis Joplin et Jimi Hendrix – Parsons est un parfait inconnu. Néanmoins, l’histoire de sa vie est fascinante, principalement parce qu’elle contient tous les éléments propres au Laurel Canyon: l’ascendance royale, les liaisons plus ou moins ouvertes avec la communauté du renseignement, la touche d’occultisme, une famille à la fortune extravagante, une ou deux maisons incendiées, et, bien entendu, toute une série de morts étranges.

       Cette histoire débute avec Ferdinand le Grand, le premier roi de Castille, dans la péninsule ibérique, il y a de cela environ un millénaire. La riche famille des Connor prétend que son arbre généalogique remonte jusqu’à ce souverain. On trouve également dans cet arbre généalogique le roi Édouard II d’Angleterre, fils d’Édouard I et d’Éléonore de Castille. D’après certaines sources, il fut assassiné en ayant un tisonnier brûlant inséré dans le rectum, même s’il est probable que peu de ses loyaux sujets aient versé une larme après la mort du tyran. En 1608, c’est le colonel George Reade, né au Royaume-Uni, qui amena la lignée royale sur les côtes américaines, où il se maria à Yorktown, en Pennsylvanie, quelques temps plus tard.

       La descendance de Reade s’étend jusqu’à Ingram Cecil Connor, Jr., un gentleman aisé installé à Columbia, au Tennesse. Comme son père avant lui, Cecil a fréquenté l’académie militaire de Columbia. En mai 1941, au début de la seconde guerre mondiale, il s’engagea dans l’US Army Air Force, en tant que second lieutenant. En mars 1941, Cecil, qui devint connu sous le surnom de « Coon Dog » (bien que personne ne semble se rappeler pourquoi), fut envoyé à Hawaii. Neuf mois plus tard, Pearl Harbor était attaqué par des bombardiers japonais.

       Pas d’inquiétude à avoir, cependant: Cecil ne fut jamais en danger, ayant préféré opter pour le luxe d’une énorme propriété située près de Diamond Head et détenue par la riche héritière Barbara Hutton, à la vie dans les quartiers des officiers de la base militaire. Pour information, Hutton était la petite-fille de Frank Woolworth, le fondateur de la chaîne de magasins discount Woolworth. Elle était également la fille de Franklyn Laws Hutton, co-fondateur de E.F. Hutton, l’une des sociétés de courtage les plus prestigieuses du pays, avant que la justice ne s’intéresse à elle pour des délits tels que: émission de chèques sans provisions, blanchiment d’argent, et arnaque postale. Barbara était également la nièce de Marjory Post Hutton, fille de C.W. Post, le fondateur de ce qui deviendra par la suite General Foods.

       Comme tant d’autres personnages de cette histoire, Barbara a été traumatisée durant son enfance par le suicide d’un de ses parents. D’après des revues de presse, c’est Barbara, âgée de cinq ans, qui découvrit le corps sans vie de sa mère Edna, le 17 mai 1917. Une bouteille de strychnine vide aurait été découverte par la police dans une salle de bains attenante. Aucune autopsie n’a été pratiquée, et aucune enquête officielle n’a jamais eu lieu, comme on pourrait s’y attendre lorsqu’une personne fortunée décède dans des circonstances troubles (voir par exemple l’histoire de Ned Doheny).

       En 1930, juste après le début de la Grande Dépression, Barbara fit son entrée dans le monde en participant à un fastueux bal des débutantes, auquel participaient les rejetons de ceux qui se trouvent tout en haut de la chaîne alimentaire, en particulier des membres des familles Astor et Rockefeller. L’année suivante, elle héritait d’une fortune correspondant à environ un milliard de dollars actuels. Elle avait alors à peine dix-neuf ans. Deux ans plus tard, un autre héritage fit grimper sa fortune dans une fourchette comprise entre deux et deux milliards et demi de dollars actuels. Pendant ce temps, la majeure partie du reste du pays croupissait dans une pauvreté abjecte.

       Mlle Hutton a eu une vie très troublée, émaillée de nombreux mariages et relations amoureuses ratés. L’un de ses nombreux amants fut un gentleman du nom de Phillip van Rensselaer, qui fut par la suite l’auteur d’un livre sur la vie de celle-ci, titré Million Dollar Baby. On rappellera qu’un des ancêtres de David Crosby, l’icône du Laurel Canyon qui fut brièvement remplacée par Gram Parsons au sein de The Byrds, avait pour nom van Rensselaer. Voilà une transition parfaite pour revenir au sujet principal de ce chapitre.

       Alors que la seconde guerre mondiale s’éternisait, Ingram Cecil Connor, Jr. gravissait les échelons de la chaîne de commandement pour atteindre le grade de major. Déployé dans le Pacifique, il était devenu un héros couvert de médailles, qui avait participé à un grand de nombres de missions de combat. Après la guerre, il continua à servir dans l’Air Force à la base de Bartow, en Floride, à proximité de la maison de famille des Snively à Winter Haven. Le clan Snively est arrivé en Amérique aux alentours de 1700, environ un siècle après le type qui donna naissance au clan Connor. Des études généalogiques et historiques nous apprennent que Johann Jacob Schnebele, un suisse mennonite, naquit en 1659. Alors qu’il avait une cinquantaine d’années, vers 1715 ou peu après, il décida de traverser l’Atlantique et de s’installer à Cornwall, en Pennsylvanie. Johann décéda en 1743 près de Lancaster, en Pennsylvanie, où il fut enterré.

       Il avait emmené en Amérique son fils Jacob, né le jour du solstice d’hiver 1694, et sa fille Maria, née en 1702. En 1724 à Mannheim, toujours en Pennsylvanie, Maria Schnebele épousa le fils des immigrants Hans Hersche et Anna Geunder. Ce fils avait américanisé son nom, et était connu sous le pseudonyme d’Andrew Hershey. Le nom Schnebele fut lui aussi américanisé et devint Snavely (ou Snively). Les clans Hershey et Snavely continuèrent à se marier joyeusement entre eux, pour finir par produire, en 1857, Milton Snavely Hershey, le fils de Henry Hershey et de Fanny Snavely.

       Milton S. Hershey, bien entendu, devint célèbre en fondant la plus grande entreprise mondiale de production de pâtisseries au chocolat. Ce qu’on sait moins, c’est que Hershey avait échoué lamentablement dans ses premières tentatives pour lancer une compagnie de bonbons, d’abord à Philadelphie, puis à Chicago, et enfin à New York. Toutes ces entreprises avaient été financées avec l’argent de la famille Snively/Snavely. Hershey finit par réussir à monter la Lancaster Caramel Company, qui connut le succès, en 1883. En 1900, il vendit la Caramel Company pour se concentrer sur la fabrication de chocolat. Avec le produit de la vente, il acheta plus de 16 000 hectares de terrain pour y construire non seulement la plus grande usine de chocolats du monde, mais aussi une ville appartenant à la compagnie.

       Quant au frère de Maria, Jacob Schnebele, il décéda en août 1766 dans le comté de Cumberland, en Pennsylvanie, après avoir mis au monde dix-neuf enfants. Un de ses fils était nommé Andrew; ce dernier engendra quatorze enfants. John Andrew « Papa John » Snively, qui se rendit en Floride au début du 20ème siècle pour y chercher fortune, était issu de cette branche de la famille. Au début des années 50, Snively Groves était devenu le plus grand producteur de fruits de l’état de Floride.

       Avis Snively, qui épousa Ingram Cecil Connor, Jr. le 22 mars 1945, était la fille de Papa John. Le 5 novembre 1946, Coon Dog et Avis donnèrent naissance à leur premier enfant et leur seul fils Ingram Cecil Connor III, qui sera connu par la suite sous le nom de Gram Parsons. Peu après, la famille déménagea à Waycross, en Georgie, où, tout comme à Winter Haven, la famille Snively était propriétaire d’une énorme plantation dédiée à la production de citrons. C’est là que fut élevé le jeune Ingram « Gram » Connor.

       Comme on pouvait s’y attendre, la maison familiale de Waycross était spacieuse et luxueuse, et de nombreux domestiques à la peau bien plus pigmentée que celle des Connor s’y affairaient. Coon Dog et Avis faisaient souvent la fête, et tous deux étaient notoirement connus pour être de solides buveurs; on murmurait également qu’ils pratiquaient l’échangisme. La sœur cadette de Gram, surnommée Little Avis, se souviendra par la suite qu' « il se passait des choses vraiment très étranges à la maison ».

       En septembre 1957, Gram, alors à peine âgé de onze ans, fut envoyé à la Bowles School de Jacksonville, en Floride, une académie militaire qui fait également office de collège. Lors de son passage à Bowles, il intégra les Centurions, la fraternité d’élite de cette école. L’année suivante, peu avant le jour de noël 1958, Ingram Cecil « Coon Dog » Connor, Jr. fut retrouvé étendu sur son lit, avec une balle dans la tempe. Un pistolet de calibre .38 fut découvert à proximité. On ne retrouva aucune lettre de suicide. Tom, le frère de Cecil, lui avait rendu visite un mois plus tôt, vers Thanksgiving, et Coon Dog lui avait dit qu’il n’avait jamais été aussi heureux et que la vie en compagnie d’Avis était merveilleuse. Étrangement, la cause de la mort fut initialement déclarée comme étant accidentelle, et fut plus tard changée en suicide.

     

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    Gram Parsons

     

       Tout juste dix mois avant le décès de Cecil, Papa John Snively, le père d’Avis, était également décédé; elle avait donc perdu coup sur coup les deux hommes de sa vie. Pourtant, d’après un membre de sa famille, elle ne montra jamais la moindre marque d’affliction, et elle fit montre « d’une absence totale de remords » sur son éventuelle responsabilité dans ce qui aurait poussé Coon Dog à son suicide supposé (elle aurait eu une liaison, d’après certains témoignages). Environ six mois après la mort de Cecil, Avis, Gram et Little Avis embarquèrent à bord d’un train pour un voyage à travers le pays qui dura tout l’été. Peu après leur retour, la famille quitta la maison où Cecil avait trépassé, et Avis rencontra dans la foulée Robert Ellis Parsons, le propriétaire d’une entreprise spécialisée dans la location d’engins de chantier. Les clients de Parsons, curieusement, étaient principalement installés à Cuba, alors dirigé d’une main de fer par Batista, ainsi que dans divers pays d’Amérique latine qui étaient eux aussi sous la botte de dictateurs mis en place par les États-Unis.

       Le clan Snively éprouva une aversion immédiate envers Parsons, qu’un membre de la famille décrit comme étant « un salopard cupide ». Malgré tout, Avis se maria rapidement avec lui, et Bob Parsons eut bientôt un contrôle total sur sa vie. L’une de ses premières décisions fut d’adopter Gram et Avis, en allant jusqu’à obtenir de nouveaux certificats de naissance indiquant qu’il était le père biologique des deux enfants (on ne sait cependant pas très bien comment il a pu y parvenir). Il mit aussi rapidement Avis enceinte, et réussit à la convaincre d’intenter un procès contre son frère John, Jr. et sa sœur Evalyn, pour un litige portant sur la somme de 1,5 million de dollars. Le litige fut réglé à l’amiable, Avis recevant un nombre non spécifié de plantations de citronniers. Les véritables répercussions de cet arrangement se feront cependant ressentir une quinzaine d’années plus tard, avec la mise en faillite de la majeure partie de l’entreprise familiale en 1974.

       En 1960, tout juste un an après le mariage de Bob et d’Avis, la petite sœur Diane entra dans la famille. Tout comme la baby-sitter Bonnie, âgée de dix-huit ans, avec laquelle Bob eut aussitôt une liaison qui ne fut, apparemment, pas particulièrement discrète. En revanche, un autre secret était, quant à lui, bien mieux gardé: il s’avère qu’au début des années 60, dans la foulée de la révolution cubaine, Robert Ellis Parsons fut impliqué dans ce qu’on appelle « la cause cubaine »; en d’autres termes, il entretenait des liens très étroits avec les chefs d’un groupe d’exilés cubains qui s’entraînaient à Polk County, en Floride, dans le but de renverser le gouvernement cubain. Il a d’ailleurs emmené le jeune Gram avec lui pour visiter l’un des camps d’entraînement du groupe, et ce en au moins une occasion. Coup de chance, une équipe du magazine Life se trouvait justement sur les lieux ce jour-là, et Gram fut photographié à l’intérieur du camp. Lorsqu’ Avis fut informée de ce développement, elle fit tout son possible pour faire en sorte que ces photographies ne soient jamais publiées. À ce jour, elles n’ont toujours pas refait surface.

       Au cours de la même période, Bob Parsons transforma un entrepôt du centre-ville dont il était le propriétaire en une boîte de nuit pour adolescents, dans le but de mettre en avant les talents de son « fils », Ingram « Gram » Parsons, qui chantait et jouait de la guitare et du clavier. Vers 1963, Gram monta un groupe folk du nom de The Shilos. Au cours de l’été 1964, avant la dernière année de lycée de Gram, le groupe passa un mois à New York. Durant cette courte période, Parsons, par un caprice du destin, rencontra et entretint une relation amicale avec Brandon DeWilde, Richie Furay, et John Phillips. Il retrouvera ces trois personnages deux ans plus tard dans le Laurel Canyon.

       Bien qu’il ait très tôt exprimé sa préférence pour Annapolis ou West Point, Gram postula à Harvard et John Hopkins. Et malgré des notes et des résultats d’examens plus que médiocres, il fut accepté par Harvard, prétendument grâce à un essai qu’il leur avait envoyé, et dont il n’était sans doute pas l’auteur. Au cours de sa dernière année de lycée, Gram et The Shilos réservèrent une heure sur la radio du campus de l’université Bob Jones, aussi improbable que cela puisse paraître, pour y donner une représentation. Au beau milieu de la cérémonie de remise des diplômes marquant la fin de ses études au lycée, Gram fut informé que sa mère, Avis, venait soudainement de perdre la vie. Ne manifestant aucun signe d’émotion visible à l’annonce de cette nouvelle, il choisit de participer tout de même à la cérémonie. L’un de ses camarade de classe racontera par la suite qu’il n’y avait rien qui indiquait que Gram ait été troublé par quoi que ce soit lors du rituel de remise des diplômes.

       Avis décéda à l’hôpital, censément des suites d’un empoisonnement à l’alcool, juste après que Bob Parsons lui ait procuré en cachette une bouteille de scotch. La mère de Gram venait d’avoir quarante-deux ans. Son père, Coon Dog, n’avait pas dépassé les quarante et un ans. Aucun de leurs enfants, que ce soit Gram ou Little Avis, ne vivra aussi longtemps.

       Peu après la mort de sa mère, Gram reçut un ordre de conscription émanant du Selective Service. Pas d’inquiétude à avoir, cependant – Bob obtint rapidement un certificat d’inaptitude lui permettant d’être réformé, et Gram s’en fut joyeusement à Harvard, où il entra en septembre 1965. En février 1966, tout juste cinq mois plus tard, Gram en eut assez et il quitta Harvard. D’après certaines sources, il n’assista jamais à aucun cours, préférant passer tout son temps sur la scène folk de Cambridge et à monter son groupe. Gram entra à Harvard quelques années après l’apogée de cette scène folk de Cambridge. Au début des années 60, le campus universitaire avait été l’un des berceaux de la renaissance du mouvement folk, avec des célébrités telles que Joan Baez, Bob Dylan, Bob Neuwirth, Tom Rush, Pete Seeger, Richard et Mimi Fariña, Geoff et Maria Muldaur, Eric Andersen et Joni Mitchell.

       L’épicentre de la scène folk de Cambridge était le légendaire Club 47, ouvert en 1958 pour être, à l’origine, un club de jazz et de blues. Joan Baez, alors très jeune, et dont le père (qui, d’après la rumeur, était lié à la CIA) travaillait au MIT tout proche, fut la première représentante du mouvement folk à investir le club, peu après son ouverture. Dylan y a donné sa première représentation en 1961, entre deux spectacles prévus dans la programmation. La scène connut son apogée à l’été 1962, qui fut l’équivalent à Cambridge du Summer of Love d’Haight-Ashbury. La scène de Cambridge, ainsi que d’autres à Greenwich Village et ailleurs, fut le prélude nécessaire à la scène du Laurel Canyon, qui fut essentiellement créée en reprenant la musique de Cambridge, en particulier celle de Dylan et de Seeger, en la mélangeant avec l’instrumentation utilisée par un groupe venu de l’autre côté de l’Atlantique: les Beatles. Il était donc tout à fait approprié que, tout comme celle du Laurel Canyon, la scène de Cambridge ait elle aussi son propre tueur psychopathe.

     

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    Joan Baez

     

       Outre la scène folk qui connut son apogée au printemps 1962, un autre événement méritant de faire la une des journaux eut lieu à Cambridge au cours de cet été: on commença à retrouver de nombreux cadavres de femmes – six au cours de ce seul été, et sept de plus durant les deux années suivantes. Et comme l’a noté Susan Kelly dans The Boston Stranglers, une de ces victimes fut assassinée juste en face du Club 47: « Juste en face de l’appartement [de la victime Beverly Samans], une très jeune et pas encore célèbre Joan Baez et un tout aussi jeune et inconnu Bob Dylan se produisaient en spectacle devant un public les écoutant religieusement au Club 47. »

       Comme l’indique le titre de l’ouvrage de Kelly, l’étrangleur de Boston n’existait pas réellement, mais ceci n’a pas empêché les autorités et les médias d’attribuer l’ensemble des meurtres à Albert DeSalvo, mieux connu sous le surnom d’étrangleur de Boston. Tout comme le Laurel Canyon avait fait de Charles Manson sa mascotte non-officielle, la scène de Cambridge avait Albert DeSalvo. Cambridge avait autre chose en commun avec le Laurel Canyon: Paul Rothchild, qui travaillait alors au Club 47, et qui deviendra par la suite le producteur des Doors.

       Le chanteur folk Richard Fariña, quant à lui, était l’époux de Mimi Baez, la sœur cadette de Joan. Fariña a étudié l’ingénierie à la Cornell University. Il se trouve que Cornell était également l’endroit où Albert Baez, le père de Joan et Mimi, avait mené des recherches classifiées. Albert avait tendance à beaucoup se déplacer, apparaissant dans des endroits aussi divers que Stanford, UC Berkeley, Cornell et le MIT, autant d’endroits qui se sont avérés être, après lecture de documents déclassifiés, des centres du programme MK-ULTRA. Albert Baez a également voyagé à l’étranger, en France, en Suisse, et en 1951 à Bagdad, en Irak, où il passa une année à, prétendument, enseigner la physique et à construire un laboratoire à l’université de Bagdad. Mille neuf cent cinquante et un se trouve aussi être l’année où Mossadegh fut élu dans l’Iran voisin, et où la CIA mit immédiatement en œuvre des plans pour le renverser, mais je suis certain qu’il ne s’agit là que d’une coïncidence.

       Quoiqu’il en soit, Fariña épousa Mimi alors qu’il avait vingt-six ans, et elle à peine dix-sept. Ils devinrent tous deux, tout comme Joan, des vedettes de la scène folk de Cambridge, sur laquelle ils firent leur apparition lorsque Albert Baez emmena sa famille avec lui à Boston en 1958 pour travailler au MIT. Le mariage de Richard et Mimi fut bref, malheureusement, puisque Richard Fariña fut tué dans un accident de moto à Carmel, en Californie, en ce jour très particulier du 30 avril 1966 où, à San Francisco, Anton Szandor Lavey proclamait le début du règne de Satan.

       Mais je me suis peut-être un peu éloigné du sujet...

       Durant le cours laps de temps qu’il passa à Harvard, Gram commença à monter ce qui deviendra par la suite The International Submarine Band. Lorsqu’il abandonna ses études au début de l’année 1966, les membres de son groupe et lui déménagèrent dans le Bronx, à New York, où Gram loua une maison de onze pièces pour y faire la fête et y consommer librement de la marijuana et du LSD. L’un des membres non-officiel du groupe était l’ancien enfant-acteur Brandon DeWilde, devenu aspirant musicien, qui était connu dans les années 50 comme étant « le roi des enfants-acteurs ». Parsons et DeWilde travaillèrent ensemble sur des cassettes de démonstration durant leur période new-yorkaise.

     

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    Brandon DeWilde

     

       En novembre/décembre 1966, neuf mois après avoir quitté Harvard pour New York, Gram décida de se rendre en Californie. C’est là qu’il rencontra une certaine Nancy Ross, qui vivait alors avec David Crosby. Ross fournit d’intéressants détails biographiques dans le livre de Ben Fong-Torres Hickory Wind: « J’ai grandi dans cette ville avec David Crosby... J’avais treize ans lorsque nous nous sommes rencontrés. David et moi faisions partie de la jeunesse dorée... Mon père était capitaine dans la Royal Air Force of England... J’ai épousé le petit-fils d’Eleanor Roosevelt, Rex, à seize, dix-sept ans. J’étais toujours mariée à Rex lorsque je me suis mise avec David... Le mariage a duré deux ans. J’ai eu un appartement et j’ai commencé à travailler dans le design de restaurants avec Elmer Valentine du Whisky-a-Go-Go. »

       À dix-neuf ans, Ross partit vivre avec David Crosby dans « sa petite chambre de bonne, où je traçai des pentagrammes sur les murs ». Peu après, Crosby acheta une maison sur Beverly Glen et Ross emménagea avec lui. C’est là que Gram Parsons trouva Nancy Ross, et qu’il l’enleva à David Crosby: « Brandon DeWilde, qui était un bon ami de David et de Peter Fonda, amena Gram dans notre maison de Beverly Glen un jour de noël. » D’après Nancy, Gram ne mit pas longtemps à la séduire. Peu après, au début de l’année 1967, Parsons s’installa définitivement à Los Angeles avec le reste de son groupe. D’après Fong-Torres, Gram – qui venait de recevoir près de 100 000$ de son fonds de placement, une somme considérable au milieu des années 60 - « trouva une maison sur la Willow Glen Avenue pour le reste du groupe, à côté du Laurel Canyon Boulevard et juste au nord du Sunset Strip. » Nancy et lui trouvèrent un appartement à proximité.

       Pendant ce temps, à la maison, Bob Parsons avait épousé Bonnie peu après le décès d’Avis, et les jeunes mariés avaient alors déménagé à la Nouvelle-Orléans avec Little Avis et Diane. Et à Waycross, la maison familiale des Connor, qui avait été abandonnée suite au soi-disant suicide de Coon Dog, était occupée depuis 1960 par la famille du shérif Robert E. Lee (et non, je n’invente rien). À la fin de 1968, à la veille de l’élection de Richard Nixon à la Maison-Blanche, l’imposante demeure prit feu suite à une explosion. La cause de cette explosion n’a jamais été déterminée.

       Une fois installés sur les collines surplombant Los Angeles, Gram Parsons et son groupe commencèrent l’enregistrement de ce qui s’avérera être leur unique album, Safe at Home, que certains historiens de la pop musique considèrent comme étant le premier album de country-rock, tandis que d’autres prétendent qu’il s’agit d’un album de pure country joué par des types qui ressemblent à des rockers. Quoiqu’il en soit, au moment de la sortie de l’album en 1968, Gram avait déjà dissout le groupe et rejoint The Byrds de manière non-officielle, en remplacement de David Crosby, qui venait de se rendre compte qu’il n’y avait décidément pas assez de place dans ce groupe pour son ego et lui.

       Le passage de Parsons chez les Byrds fut assez bref, à peine quatre ou cinq mois, après quoi il fut remplacé par le guitariste virtuose Clarence White, qui avait été un membre de la scène folk de Cambridge. Ce court mandat n’a pas empêché Parsons d’exercer une influence majeure sur l’album produit par le groupe durant cette période, Sweetheart of the Rodeo. Peu après son départ des Byrds, Parsons rencontra Richie Furay, qui cherchait à monter un nouveau groupe après la dissolution de Buffalo Springfield. Gram et Furay envisagèrent une collaboration, mais s’aperçurent bientôt qu’ils avaient trop de divergences sur le plan musical. Furay monta donc le groupe Poco, tandis que Gram créa The Flying Burrito Brothers. En 1969, le nouveau groupe de Gram avait pris forme, avec Gram en tant que chanteur et guitariste, Chris Hillman à la guitare lui aussi, Chris Etheridge à la guitare et à la basse, et « Sneaky Pete » Kleinow à la pedal steel guitar. Le groupe enregistra et publia The Gilded Palace of Sin, en collaboration avec divers artistes locaux. L’ancien des Byrds Michael Clarke rejoindra le groupe peu après, tout comme le futur membre des Eagles Bernie Leadon.

     

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    The Flying Burrito Brothers

     

       Toujours en 1969, vers la fin de l’année, un Gram alors âgé de vingt-trois ans se mit en couple avec une jeune fille de seize ans nommée Gretchen Burrell, la fille du célèbre présentateur de journal télévisé Larry Burrell, dont les connexions étaient nombreuses à Hollywood. Il ne fallut pas longtemps pour que Gretchen s’installât au fameux Chateau Marmont Hotel, où Gram résidait alors, et ce avec la bénédiction des parents de cette dernière – j’imagine en effet que la plupart des parents fortunés n’ont pas d’autre souhait que de voir leur fille adolescente partager une vie de débauche et de consommation de drogue avec une star du rock. On notera que Rod Stewart, dans la maison duquel une des victimes des soi-disant Sunset Strip Killers fut aperçue en vie pour la dernière fois, résidait lui aussi dans cet hôtel à la même période.

       À la toute fin de l’année 1969, Parsons et ses comparses les Burrito Brothers jouèrent en première partie du concert tristement célèbre que donnèrent les Rolling Stones sur le circuit de courses d’Altamont, un honneur pour le moins douteux. Gram était devenu un intime des Stones, en particulier de Keith Richards, et il fut par la suite salué comme étant la source d’inspiration à l’origine de la très nette connotation country de l’album des Stones Let it Bleed.

       Parsons avait rencontré les Stones pour la première fois en 1968, alors qu’ils étaient à Los Angeles pour remixer leur album Beggar’s Banquet. Phil Kaufman, qui se vantait d’avoir couché avec chacune des meurtrières de la Manson Family, fréquentait lui aussi les Stones à cette époque. Kaufman avait vécu avec Charlie et ses filles après avoir été libéré de prison en 1968, où Manson et lui ont été incarcérés ensemble; Kaufman se décrit lui-même comme étant dès lors devenu un « cousin bienveillant » de Manson. Par la suite, il devint le manager des Stones au cours de leur tournée américaine de 1969, un travail qui semble donc parfaitement adapté aux ex-détenus proches de Manson.

     

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    Phil Kaufman

     

       À la fin de l’été 1969, peu après la mort étrange de Brian Jones en juillet, les Stones étaient de retour à LA pour apporter la touche finale à leur album Let It Bleed, et pour préparer une nouvelle tournée. D’après Ben Fong-Torres dans Hickory Wind: « Mick et Keith restèrent à la maison de Stephen Stills près du Laurel Canyon... Avant Stills, la maison avait été occupée par Peter Torke des Monkees. » Pour information, cette maison était en fait située dans le Laurel Canyon.

       Le 6 décembre 1969, Mick et Keith, les résidents temporaires du Laurel Canyon, ainsi que les résidents permanents Crosby, Stills, Nash & Young et les Flying Burrito Brothers, se rassemblèrent tous dans un circuit de courses abandonné du nom d’Altamont pour y donner un concert gratuit. À la fin du concert, quatre personnes avaient trouvé la mort, et 850 autres avaient été blessées à des degrés divers, la plupart par des queues de billard en plomb brandies par des membres des Hell’s Angels. Les Hell’s Angels avaient, bien entendu, été engagés par les Stones pour assurer la sécurité. Cette décision a systématiquement été qualifiée d’ « erreur innocente » commise par le groupe, même s’il est difficile de donner du crédit à cette assertion. Ce n’était certainement pas un secret que les clubs de moto réactionnaires, formés d’anciens militaires, étaient ouvertement hostiles aux hippies et aux activistes anti-guerre; ils avaient, dès 1965, brutalement attaqué des manifestants qui s’opposaient pacifiquement à la guerre, sous les yeux de la police qui les avait obligeamment laissés passer. Il était également de notoriété publique que les Angels étaient très impliqués dans le trafic de méthamphétamine, une drogue qui a été largement pointée du doigt pour expliquer les maux qui se sont abattus sur Haight-Ashbury.

     

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    Les Hell's Angels fendant la foule à Altamont

     

       Ce qu’on sait moins, c’est que plusieurs membres de gangs de bikers avaient des liens très étroits avec Charles Manson dans les années 60, et en particulier un club du nom de Straight Satans dont l’un des membres, Danny DeCarlo, avait occupé la fonction de sergent d’armes de la Family, en surveillant l’arsenal de Charlie. DeCarlo, d’après certains témoignages, était également étroitement lié à la Process Church of Final Judgement. Au moins un des artistes présents sur la scène d’Altamont avait lui aussi, curieusement, des liens étroits avec certains gangs de motards; comme l’a révélée son autobiographie, Crosby « avait des amis dans tous les chapitres des Hell’s Angels de la baie de San Francisco ».

       On se souviendra toujours du concert d’Altamont comme étant l’événement qui a causé le décès de Meredith Hunter, le jeune homme qui fut poignardé à mort par des membres des Hell’s Angels juste devant la scène, tandis que le groupe (les Rolling Stones, en l’occurrence) continuait à jouer. La chanson qu’ils interprétaient, contrairement à ce que rapportent la plupart des comptes-rendus de l’incident, était la chanson inspirée par la Process Church, Sympathy For The Devil. C’est en tout cas ce qu’a relaté le magazine Rolling Stone après avoir recueilli les témoignages de plusieurs reporters présents sur place, et visionné la pellicule originale, non éditée, du film du concert.

       La plupart des comptes-rendus prétendent que Hunter a été assassiné pendant que le groupe jouait Under My Thumb, mais ces assertions semblent toutes se fonder sur le film Gimme Shelter, dans lequel le meurtre a été délibérément présenté hors de son contexte. En l’absence de toute autre version filmée de la mort d’Hunter, le film des frères Maysles devint par défaut la version officielle de l’incident. Il est rarement mentionné que quelqu’un s’est donné beaucoup de mal pour faire en sorte qu’il n’y ait qu’une version des événements; comme l’a rapporté Rolling Stone, peu après le concert, « Une histoire étrange entourant Altamont concerne un jeune cinéaste de Berkeley qui prétendait avoir un enregistré le meurtre en 8MM. Il était rentré chez lui le samedi après que l’affaire ait eu lieu, et se mit à parler à ses amis de son film extraordinaire. Sa maison fut visitée la nuit suivante, et fouillée de fond en comble. Le voleur n’emporta que le film, et rien d’autre. »

     

    ➤ Gram Parsons - Altamont Pie

    Le moment où Hunter est poignardé

     

       Contrairement à l’impression donnée par Gimme Shelter, le meurtre de Hunter survint peu après que les Stones furent montés sur scène. Mais comme Charlotte Zwerin, la monteuse du film, l’a expliqué à Salon.com quelques trente années plus tard, le point culminant du film doit toujours intervenir à la fin: « Nous parlons ici de la structure d’un film. Et quel genre de film sur un concert pouvions-nous faire après que quelqu’un ait été assassiné devant la scène? Continuer normalement pendant une heure aurait été une grave erreur en termes cinématographiques. » En revanche, il semblerait qu’altérer délibérément le cours des événements dans ce qui avait la prétention d’être un film documentaire ne constituait pas une erreur.

       L’un des jeunes cameramans travaillant pour les frères Maysles ce jour-là était un certain George Lucas (on ne sait pas exactement si c’est Lucas qui a filmé la partie où la scène du meurtre était opportunément dégagée). Peu de temps après, Lucas entamera une ascension fulgurante qui le mènera jusqu’aux sommets de la hiérarchie hollywoodienne. Il y sera rejoint par un réalisateur nommé Steven Spielberg; ils deviendront tous deux les réalisateurs les plus influents et les plus encensés par la critique de leur génération. Tout comme la seconde vague des groupes du Laurel Canyon, avec entre autres les Eagles et CSN, va transformer l’industrie de la musique, la faisant passer d’une communauté d’artistes à une énorme machine à faire de l’argent – marquant les débuts de l’ère des concerts dans les stades, des albums vendus à plusieurs millions d’exemplaires et des profits faramineux – Spielberg et Lucas vont produire des blockbusters tels que ET, Les Aventuriers de l’Arche Perdue, Les Dents de la Mer et La Guerre des Étoiles, transformant l’industrie cinématographique de la même façon. Il semble donc tout à fait naturel que, alors étudiant en cinéma à l’University of Southern California, le jeune Steven Spielberg résidait sur la Lookout Mountain dans le Laurel Canyon.

       De nombreux comptes-rendus de la tragédie d’Altamont incluent l’assertion douteuse selon laquelle on peut voir Hunter braquer un pistolet juste avant d’être assailli puis tué par les Hell’s Angels. D’autres récits prétendent même qu’Hunter aurait tiré avec cet hypothétique pistolet. Ce qu’on peut voir sans trop de difficulté, c’est le grand couteau planté dans le dos d’Hunter, mais l’enregistrement est au mieux ambigu quant au fait de savoir si Hunter a effectivement brandi un pistolet. Alan David Passaro, le membre des Hell’s Angels qui fut accusé du meurtre, avant d’être finalement acquitté, fut retrouvé noyé dans un réservoir en 1985 avec 10 000$ dans ses poches. Contrairement à la croyance largement répandue, Passaro n’a pas été acquitté parce que le jury avait été convaincu que Hunter avait sorti un pistolet, mais plutôt par le fait que les blessures qui causèrent la mort de Hunter furent données de haut en bas, ce qui signifie qu’il ne s’agit pas des blessures infligées par Passaro, telles qu’elles apparaissent dans le film; quelqu’un d’autre avait continué à poignarder Hunter alors qu’il était au sol, et ce sont ces blessures, que la caméra n’a pu enregistrer très clairement, qui furent mortelles.

       Environ une année après Altamont, Don McLean, qui était par ailleurs un auteur-interprète assez obscur, fut l’auteur des paroles de ce qui devint par la suite l’une des chansons les plus iconiques de l’histoire de la musique pop: American Pie. On peut résumer cette chanson en disant qu’il s’agit du récit chronologique de diverses tragédies qui frappèrent le monde de la musique pop. Peu après une référence aux meurtres d’août 1969 par la Manson Family et leurs liens avec la scène musicale du Laurel Canyon, et juste avant une référence à la mort de Janis Joplin en 1970, on peut entendre le vers suivant, où McLean décrit la mort de Hunter comme un meurtre rituel, avec Mick Jagger dans le rôle de Satan:

       « And there we were, all in one place, a generation Lost in Space / With no time left to start again / So, come on, Jack be nimble, Jack be quick, Jack Flash sat on a candlestick, ‘cause... / Fire is the Devil’s only friend / Oh, and as I watched him on the stage, my hands were clenched in fists of rage / No angel born in hell, could break that Satan’s spell / And as the flames climbed high into the night, to light the sacrificial rite / I saw Satan laughing with delight, the day the music died.»*

     

    ➤ Gram Parsons - Altamont Pie

    Mick Jagger sur scène avec les Hell's Angels, peu après le meurtre de Hunter

     

       Comme il était de coutume avec les grands événements de ce type au milieu des années 60, et plus particulièrement en Californie du Nord, Altamont avait été inondé d’acide. Et il était également de coutume à cette époque que cet acide soit fourni gratuitement par m. Augustus Owsley Stanley III, surnommé The Bear. Par exemple, Owsley avait généreusement distribué 10 000 doses d’un puissant acide à l’événement « Human Be-In », qui eut lieu en janvier 1967. Au Monterrey Pop Festival, tout juste cinq mois plus tard, il en avait préparé et distribué 14 000 doses. Il fit la même chose à Altamont. Ce jour-là, on peut aussi apercevoir sur le film des frères Maysles le roi des Freaks en personne, Vito Paulekas, tournoyant sur une plate-forme surélevée à côté de la scène.

       Gram Parsons prit la poudre d’escampette en compagnie de Mick et de ses copains, et quitta le chaos d’Altamont grâce à l’hélicoptère privé des Stones. L’année suivante, ses Flying Burrito Brothers sortaient leur second album, produit par Jim Dickson, l’homme qui avait joué un rôle essentiel dans la création du premier groupe du Laurel Canyon, The Byrds. En juin, Parsons fut viré du groupe, pour cause d’abus d’alcool et de drogues. Il signa peu après avec A&M Records, et entama une collaboration avec Terry Melcher. Gram devint bientôt un habitué de la maison de Melcher dans le Benedict Canyon; là, le duo auto-destructeur travaillait sur des chansons, avec Gram à la guitare et Melcher au piano. John Phillips devint lui aussi un proche de Parsons durant cette période.

       Pendant ce temps, à la Nouvelle-Orléans, la petite sœur Avis avait été placée dans une institution. Elle était tombée enceinte, après quoi Bob Parsons s’était empressé de la placer dans un hôpital psychiatrique et de faire en sorte d’annuler le mariage qu’elle avait contracté. Little Avis appela plusieurs fois son grand frère Gram à l’aide, mais ne reçut aucune réponse.

       À la fin du mois d’octobre 1970, Gram se rendit chez A&M où il déposa les bandes originales de dix chansons qu’il avait enregistrées avec Melcher; ces bandes ne refirent jamais surface, ce qui est arrivé plus d’une fois avec des enregistrements réalisés par Melcher. Au cours de la même période, Gram fut arrêté avec une valise remplie de médicaments délivrés sur ordonnance. Toutefois, comme on pouvait s’y attendre, l’affaire fut tranquillement étouffée, et Gram s’en tira sans dommages.

       En 1971, Gram épousa Gretchen Burrell. La cérémonie, somptueuse, eut curieusement lieu à la Nouvelle-Orléans, dans la maison de son beau-père Bob Parsons, ce qui a laissé les chroniqueurs de la vie de Gram pour le moins perplexes. Après tout, Bob Parsons était l’homme qui – en tout cas aux yeux de nombreux membres de la famille – avait traumatisé et interné la petite sœur de Gram, eut une liaison scandaleuse avec la baby-sitter de la famille avant de l’épouser, assassiné la mère de Gram, et régulièrement pillé la fortune familiale. Pourtant, c’est à Bob Parsons, aussi incroyable que cela puisse paraître, que Gram a confié le soin d’organiser et d’accueillir sa cérémonie de mariage, ce qui semble impliquer l’existence d’un lien entre les deux hommes qui va au-delà des explications conventionnelles.

       Cette même année, Gram passa quelque temps en France, là encore en compagnie des Stones. L’année suivante, il fut engagé chez Reprise Records par Mo Ostin. Il retourna alors au Chateau Marmont où il commença à travailler sur les chansons qui composèrent son premier album solo en compagnie d’Emmylou Harris, qui avait été élevée dans diverses bases militaires de Virginie. En 1973, à la sortie de ce premier album solo, simplement intitulé GP, « Gram et Gretchen finirent par quitter le Chateau Marmont pour s’installer dans une confortable maison en bois située sur le Laurel Canyon Boulevard, qui serpentait depuis le nord d’Hollywood jusqu’au Canyon préféré des stars », comme le raconte Fong-Torres.

     

    ➤ Gram Parsons - Altamont Pie

    Gram Parsons et Emmylou Harris

     

       Gram se mit alors à travailler avec Emmylou Harris sur les morceaux de son second album solo, Grievous Angel, qui devait sortir de façon posthume. Mais alors que le mois de juillet 1973 touchait à sa fin, une série de tragédies s’abattirent sur Parsons et ses proches. En juillet de l’année précédente, Brandon DeWilde, l’ami de Gram – qui l’avait présenté à Peter Fonda, Dennis Hopper, Bruce Dern et Jack Nicholson, ce qui avait permis à Gram de faire une apparition dans le film The Trip – s’était tué dans un accident de la circulation. Une année plus tard, le 15 juillet 1973, Clarence White, un ami de Gram et musicien, était percuté par une voiture et tué sur le coup. D’après Fong-Torres: « Autour de la période du décès de Clarence White, Sid Kaiser, un personnage connu de tous sur la scène rock de Los Angeles, un ami proche de Gram, et, ce qui n’est pas anodin, un fournisseur de drogues de grande qualité, mourut d’une crise cardiaque. » Juste après ces deux morts, « à la fin du mois de juillet 1973... la maison [de Gram] dans le Laurel Canyon prit feu. »

       Pour information, d’autres sources situent cette maison dans le Topanga Canyon plutôt que dans le Laurel Canyon. Quoiqu’il en soit, Gram était chez lui lorsque l’incendie se déclara, et il dut être brièvement hospitalisé après avoir inhalé de la fumée. Après avoir perdu leur maison et toutes leurs possessions, Gram et Gretchen « emménagèrent dans la luxueuse demeure du père de Gretchen sur Mulholland Drive, dans le Laurel Canyon. » Gram ne vécut pas longtemps dans la demeure des Burrell; le 19 septembre 1973, Ingram Cecil Connor III mourut dans une chambre d’hôtel non spécifiée à la Joshua Tree Inn. Sa mort est en général attribuée à une overdose de drogue, mais les expertises toxicologiques laissent penser qu’il pourrait y avoir une autre cause à son décès. Sa mort ne reçut qu’une couverture médiatique minimaliste, en partie parce que, caprice du destin, l’auteur-interprète Jim Croce s’écrasa en avion le jour suivant, le 20 septembre 1973. Mais bien que les médias soient vite passés à autre chose, l’histoire de Gram Parsons n’était pas tout à fait terminée.

       Parsons se rendait régulièrement au Joshua Tree National Park, où l’un de ses passe-temps favoris était d’ingérer des drogues hallucinogènes, puis de partir à la chasse aux OVNI. Il emmenait parfois des amis tels que Keith Richards pour l’aider dans ses recherches. En septembre 1973, Gram s’était rendu à Joshua Tree en compagnie de son assistant personnel, Michael Martin, la petite amie de ce dernier, Dale McElroy, et de l’ancien amour de lycée de Gram, Margaret Fisher. L’histoire raconte que le groupe s’est rapidement trouvé à cours de marijuana, et envoya donc Martin à LA pour se réapprovisionner. Il n’était donc pas, officiellement, présent au moment du décès de Gram; on ne sait cependant pas pourquoi il n’est jamais revenu, surtout lorsqu’on sait que son travail consistait essentiellement à surveiller Gram, et à vérifier qu’il ne prenne pas de drogue en quantité excessive.

       Personne ne sait exactement comment Gram est décédé. Il y a autant de versions des événements qu’il y avait de témoins pour y assister. En fait, ce n’est pas tout à fait vrai: il y a même plus de versions différentes que de témoins, parce que certains d’entre eux ont donné plusieurs versions des faits. Officiellement, Parsons est mort d’une overdose, mais les analyses post-mortem ont révélé qu’il n’y avait pas de barbituriques ni de morphine dans son sang. On a trouvé de la morphine dans son foie et dans ses urines, mais ces résultats indiquent un usage chronique, et non récent, de cette substance. La police ne semble pas avoir fait le maximum pour chercher ce qu’il s’est réellement passé, pas plus qu’elle n’a tenté de comprendre pourquoi il y avait tant de témoignages discordants. Certains détails – comme de savoir combien de temps Gram était resté seul, s’il était toujours en vie au moment de la découverte de son corps, qui a fait cette découverte, etc. – changeaient radicalement selon qu’il s’agissait des témoignages de Fisher, McElroy, et de Frank et Alan Barbary (le propriétaire de l’auberge et son fils). Les témoignages des Barbary étaient contradictoires entre eux, ainsi qu’avec ceux des filles présentes sur place.

       À l’hôpital, la police interrogea brièvement les deux filles, puis les relâcha. Deux heures plus tard, Phil Kaufman était arrivé sur place pour emmener Fisher et McElroy. Évitant la police et le personnel de l’hôpital, il se rendit ensuite directement à l’auberge, où les filles étaient retournées, et les ramena immédiatement à LA. La police n’a jamais reparlé à aucune des deux femmes, malgré les témoignages divergents et l’incertitude sur les causes réelles de la mort de Gram.

       Le jour de l’équinoxe d’automne 1973, Kaufman et Martin déboulèrent à LAX à bord d’un corbillard délabré fourni par McElroy, pour y réclamer le corps de Gram Parsons. On a peine à le croire, mais apparemment personne, y compris le policier présent sur place, n’a formulé d’objection en voyant ces deux hommes ivres et débraillés, conduisant un corbillard visiblement hors-service (il n’avait pas de plaques d’immatriculation, et plusieurs vitres étaient brisées) et ne possédant aucun document officiel, réclamer le corps d’une célébrité fraîchement décédée. En fait, d’après le témoignage – plus que douteux – de Kaufman, le flic les a même aidés à charger le cercueil à l’intérieur du corbillard, avant de feindre de ne pas voir Martin s’encastrer dans le mur alors qu’il quittait le hangar.

       Kaufman et Martin ont alors ramené le corps à Joshua Tree, l’ont aspergé d’essence et l’ont incinéré. La police locale a tout d’abord supposé que la crémation était de nature « rituelle », ce qu’elle était en effet, mais ce genre de rapports étaient alors moqués, et le sont toujours aujourd’hui.

       Le 26 septembre, des officiers de police de Los Angeles frappèrent à la porte de Kaufman munis d’un mandat d’arrêt, sur l’instigation du présentateur Larry Burrell. Curieusement, le réalisateur Arthur Penn était présent sur place avec toute une équipe de tournage pour y tourner le film Night Moves, avec la vedette Gene Hackman. Il semblerait que le petit monde d’Hollywood adore passer son temps avec les copains de Charlie Manson. Alors que l’équipe continuait de tourner, Kaufman était emmené par la police, mais était de retour quelques heures plus tard, n’écopant que d’une amende de 300$, augmentée du remboursement du cercueil.

       En janvier 1974, quatre mois après le décès de Parsons, Grievous Angel sortait sous les acclamations des critiques, et dans l’indifférence du public. Plus tard dans l’année, Bob Parsons, le père adoptif de Gram, mourrait des suites d’une maladie liée à l’alcool. Auparavant, il avait semble-t-il tenté de s’approprier le domicile du musicien défunt. Les décès de Gram et Bob Parsons furent immédiatement suivis par la banqueroute de la quasi-totalité de l’empire des Snively, simple coïncidence sans aucun doute. À peu près au même moment, Little Avis donnait naissance à sa fille Flora. Elles périrent toutes deux seize années plus tard dans un accident de bateau en Virginie. Avis venait d’avoir quarante ans.

     

     

    *ndt: Et nous étions là, tous réunis en ce lieu, une génération Perdue dans l’Espace / Sans plus de temps pour recommencer / Alors vas-y, sois agile, Jack, sois rapide, Jack, Jack Flash était assis sur une bougie, parce que... / Le feu est le seul ami du Diable / Oh, et alors que je le regardais sur la scène, mes mains se serraient en poings rageurs / Aucun ange né en enfer, ne pourrait briser ce sortilège de Satan / Et alors que les flammes s’élevaient haut dans la nuit, pour illuminer le sacrifice rituel / Je vis Satan rire avec délectation, le jour où la musique est morte.

     

     

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    Lire la traduction du premier chapitre

    Lire la tradution du dix-huitème chapitre

     

     


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